Est-ce que vous pourriez me parler de vos travaux de recherche ?
Mes recherches en écologie évolutive allient depuis toujours des approches interdisciplinaires allant des molécules aux populations. Depuis ma thèse, j’ai travaillé sur l’évolution des systèmes d’appariement (Monogamie, Polygynie, Promiscuité), les choix de partenaire et l’intérêt de la diversité génétique sur les traits d’histoire de vie associés aux capacités de reproduction et de survie des organismes. Dans ce contexte, depuis quelques années, je m’intéresse aux effets (i) de stress biotiques (infections) et abiotiques (température, humidité, etc.) sur les traits d’histoire de vie et (ii) du fond génétique des individus sur leur résilience face à ces stress. Parmi les traits d’histoire de vie sur lesquels j’ai travaillé récemment, le vieillissement, et en particulier ce qui peut expliquer les variations entre individus face à ce vieillissement. En effet, vous l’aurez remarqué, on ne vieillit pas tous de la même manière ! Et bien, le fond génétique et les stress auxquels nous sommes confrontés pourraient expliquer cette variation !
Comment en êtes-vous venue à travailler sur le vieillissement ?
Ah ah ! Et bien, après ma thèse sur la monogamie et l’analyse de l’intérêt de la diversité génétique depuis que je suis maîtresse de conférences, je me suis mariée et j’ai eu un bébé. Et puis… j’ai vieilli ! Alors je suppose que ça doit avoir eu un petit effet sur mes thématiques de recherche 😉 ! Bon c’est pour rire un peu, même si parfois, il y a de quoi se poser des questions, je travaille quand même sur des cloportes !
En quoi votre approche est-elle novatrice et quels résultats phares ?
Ce qui est novateur dans ces derniers travaux, c’est d’analyser le vieillissement à la fois à l’échelle moléculaire (génétique et cellulaire) et à l’échelle populationnelle dans un contexte d’écologie évolutive. Ce n’est possible que parce que je travaille sur des organismes faciles à manipuler expérimentalement: les cloportes. Nous pouvons en effet expérimentalement placer ces invertébrés en conditions contrôlées dans des sortes d’étuves (enceintes climatiques) dont on peut contrôler les paramètres de température, luminosité, humidité, etc. Puis il suffit de comparer les animaux mis en conditions « normales » à ceux mis en conditions de stress – par exemple en simulant les prédictions d’augmentation de température du GIEC. Cette comparaison peut se faire sur des paramètres dits démographiques (capacités de se reproduire, nombre de descendants, croissance et survie) mais aussi sur des paramètres moléculaires et cellulaires (différence dans les biomarqueurs moléculaires liés à la senescence cellulaire, que nous avons développés et publiés à partir de biomarqueurs classiquement utilisés dans d’autres modèles biologiques, y compris l’être humain).
Nos résultats phares ? (1) Les cloportes vieillissent de façon prématurés quand ils sont soumis à des stress! Autrement dit, au même âge, les individus stressés vieillissent plus tôt que les individus non stressés. Et ça, nous l’observons sur les paramètres démographiques et sur les biomarqueurs de sénescence, avec des variations selon les stress appliqués. Autre résultat, les vieux cloportes en couple font plus de descendants que les jeunes cloportes en couple mais les descendants des vieux couples n’arrivent pas à se reproduire ! Il y a donc un effet trans-générationnel du vieillissement! Maintenant nous devons aller plus loin, en testant différents stress, mais aussi sur les aspects génétiques impliqués dans ces variations face au vieillissement.